Le crime de la Croix-Rousse peut-il faire évoluer la loi ?
Pour les spécialistes en affaires criminelles, si filmer et diffuser des infractions n’est pas nouveau, le crime qui a choqué la Croix-Rousse la semaine dernière atteint des sommets de cruauté. Et pourrait contribuer à faire évoluer la législation.
L’onde de choc a dépassé de loin la colline de la Croix-Rousse. Mais, au-delà des détails d’une cruauté sans nom sur le meurtre et les actes de tortures qui se sont déroulés rue Jean Baptiste Say, une question persistjuste : pourquoi filmer une telle barbarie et la diffuser sur Messenger, la messagerie de Facebook ?
Vidéo-agression
Si, à l’heure où nous écrivons ces lignes, de nombreuses zones d’ombres persistes sur les motivations des meurtriers et sur les raisons de l’existence de cette vidéo, la méthode n’est, en réalité, pas si inédite. « On parle de happy slapping » (vidéo-lynchage, NDLR), explique Patrick Mistretta, professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université Lyon 3. Une expression un peu trop sage pour désigner une pratique qui s’est d’abord développée autour de 2006, notamment en Angleterre.
« Elle s’est amplifiée par l’utilisation de tous les moyens technologiques (téléphone portable…), ajoute celui qui est également l’un des responsables pédagogiques du diplôme interuniversitaire en sciences criminelles à Lyon 3. Il s’agit principalement d’actes de violences physiques, voire d’agressions sexuelles. Le fait de filmer témoigne souvent d’une envie d’aller plus loin que l’atteinte corporelle pour porter atteinte à la dignité de la personne, la ridiculiser, lui enlever son statut d’être humain. Ce qui est frappant dans le crime de la Croix-Rousse, c’est qu’on a atteint le sommet de la cruauté et de la gravité. C’est la violence exacerbée à son plus haut niveau ».
Nouveau contexte
Concernant le happy slapping, « on s’est aperçu qu’un certain nombre d’infractions n’étaient commissent que parce qu’elles allaient être diffusée, notamment les viols », explique Anne-Sophie Chavent-Leclère, directrice de l’Institut d’études judiciaires de Lyon. Pour celle qui est aussi titulaire d’un master II en sécurité intérieure, Maître de conférence à Lyon 3 et avocate au barreau de Lyon, filmer un meurtre peut dans certains cas servir de moyen de pression ou de chantage. Une méthode « particulièrement utilisée ces dernières années pour des crimes terroristes car le diffusion du message devient un acte de propagande idéologique. Ce qui est nouveau avec le meutre de la Croix-Rousse, c’est plutôt le contexte : il s’agit visiblement d’un crime de droit commun. »
Changer la loi ?
En France, une affaire a fait beaucoup de bruit en 2007 : une enseignante est agressée et la scène déferle sur le web. À l’époque, « le droit pénal n’était pas tout à fait adapté », souligne Patrick Mistretta. Mais depuis cette affaire particulièrement médiatisée, un article spécifiquement dédié au happy slapping a été créé (n° 222–33–3 du code pénal, 5 mars 2007). Il distingue le fait d’enregistrer des images et celui de les diffuser*. Au regard de la loi, capter une scène de violence revient à commettre l’acte. « La personne qui filme est considérée comme complice et encourt la même peine que l’agresseur », précise le professeur. La diffusion est quant à elle considérée comme un délit passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Mais selon Anne-Sophie Chavent-Leclère, le législateur n’a, à l’époque, pas mesuré l’ampleur du phénomène. « Étrangement, le meurtre, tout comme les menaces et le harcélement morale, ne sont pas compris dans les infractions qui permettent d’engranger une sanction pénale de complicité pour celui qui filme, explique-telle. Je pense que c’est une lacune qui sera peut-être réparée suite à l’affaire de la Croix-Rousse. Ce crime devra faire évoluer la loi ! ». D’ici là, l’enquête se poursuit pour faire la lumière sur les circonstances exactes du sombre événement du 34 rue Jean Baptiste Say.
Romain Desgrand
*L’article n’est « pas applicable lorsque l’enregistrement ou la diffusion résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ou est réalisé afin de servir de preuve en justice. »